Flaubert à Ernest Duplan, 12 juin 1862, Corr. III, p. 221-222 :
« Jamais, moi vivant, on ne m'illustrera, parce que la plus belle description littéraire est dévorée par le plus piètre dessin. Du moment qu'un type est fixé par le crayon, il perd ce caractère de généralité, cette concordance avec mille objets connus qui font dire au lecteur : ‘J’ai vu cela’ ou ‘Cela doit être’. Une femme dessinée ressemble à une femme, voilà tout. L'idée est dès lors fermée, complète, et toutes les phrases sont inutiles, tandis qu'une femme écrite fait rêver à mille femmes. Donc, ceci étant une question d'esthétique, je refuse formellement toute espèce d'illustration.
Je n'y avais pas pris garde lorsque j'ai vendu Madame Bovary. Lévy, heureusement, n'y a point songé non plus. Mais j'ai arrogamment refusé cette permission à Préault qui me la demandait pour un de ses amis. [...] En résumé : Je suis inflexible quant aux illustrations »
Flaubert à Jules Duplan, 5 juillet 1862, Corr. III, p. 226 :
« Quant aux illustrations, m'offrirait-on cent mille francs, je te jure qu'il n'en paraîtra pas une. Ainsi il est inutile de revenir là-dessus. Cette idée seule me fait entrer en phrénésie. Je trouve cela stupide, surtout à propos de Carthage. - Jamais, jamais ! Plutôt rengainer le manuscrit indéfiniment au fond de mon tiroir. Donc voilà une question vuidée. [...] Je sais bien que vous allez me trouver complètement insensé. - Mais la persistance que Lévy met à demander des illustrations me fout dans une fureur impossible à décrire. Ah! qu'on me le montre, le coco qui me fera le portrait d'Hannibal. - Et le dessin d'un fauteuil carthaginois ! Il me rendra grand service. Ce n'était guère la peine d'employer tant d'art à laisser tout dans le vague, pour qu'un pignouf vienne démolir mon rêve par sa précision inepte. — Je [ne] me connais plus et je t'embrasse tendrement. Hindigné, faoutre ! »