Goldoni, Mémoires, I, XIX :
[Le Goldoni de vingt ans veut, avec l’aide de la supérieure du couvent, épouser une belle pensionnaire ; mais la supérieure lui annonce au contraire le mariage de la jeune fille avec son tuteur]
« — Paix, paix, s'écrie-t-elle ; écoutez-moi : ce mariage-là est mon ouvrage, c'est d’après mes réflexions que je l'ai secondé, et c'est pour vous que je lai sollicité.
— Pour moi ? dis-je.
— Oui. Paix, dit-elle, et vous allez voir la marche d'une femme droite, et qui vous est attachée. Êtes-vous, continua-t-elle, en état de vous marier ? Non, pour cent raisons. La demoiselle aurait-elle attendu votre commodité ? Non, elle n'en était pas la maîtresse, il fallait la marier ; un jeune homme l'aurait épousée, vous l'auriez perdue pour toujours. Elle se marie à un vieillard, à un homme valétudinaire, qui ne peut pas vivre longtemps, et quoique je ne connaisse pas les agrémens et les désagrémens du mariage, je sais qu'une jeune femme doit abréger les jours d'un vieux mari ; vous aurez une jolie veuve, qui n'aura eu de femme que le nom ; soyez tranquille là-dessus : elle aura été avantagée, elle sera encore plus riche qu'elle ne l’est actuellement ; en attendant vous ferez votre chemin. Ne craignez rien sur son compte ; non, mon cher ami, ne craignez rien ; elle vivra dans le monde avec son barbon, mais je veillerai sur sa conduite. Oui, oui, elle est à vous, je vous la garantis, je vous en donne ma parole d'honneur. »