dimanche 28 juin 2020

Gary (Protée)


Gary, Vie et mort d’Émile Ajar : 
« Recommencer, revivre, être un autre fut la grande tentation de mon existence. Je lisais, au dos de mes bouquins : ‘… plusieurs vies bien remplies... aviateur, diplomate, écrivain…’ Rien, zéro, des brindilles au vent, et le goût de l’absolu aux lèvres. Toutes mes vies officielles, en quelque sorte, répertoriées, étaient doublées, triplées par bien d’autres, plus secrètes, mais le vieux coureur d’aventures que je suis n’a jamais trouvé d’assouvissement dans aucune. La vérité est que j’ai été très profondément atteint par la plus vieille tentation protéenne de l’homme : celle de la multiplicité. Une fringale de vie, sous toutes ses formes et dans toutes ses possibilités que chaque saveur goûtée ne faisait que creuser davantage. Mes pulsions, toujours simultanées et contradictoires, m’ont poussé sans cesse dans tous les sens, et je ne m’en suis tiré, je crois, du point de vue de l’équilibre psychique, que grâce à la sexualité et au roman, prodigieux moyen d’incarnations toujours nouvelles. Je me suis toujours été un autre. Et dès que je rencontrais une constante : mon fils, un amour, le chien Sandy, je poussais mon attachement à cette stabilité jusqu’à la passion. »

… on croirait lire du Montherlant

[« Je me suis toujours été un autre » : sic ; jeu sur le je, un des thèmes importants de Gary ; cf. entre autres La Danse de Gengis Cohn]