vendredi 3 juillet 2020

Dumont (habitude)


Dumont (Léon), De l’Habitude, 1876 : 
« Nous n’éprouvons guère de plaisir dans la simple conservation de nos organes qui ne sont que des combinaisons d’habitudes ; et cependant quand ces organes sont blessés, lésés d’une manière quelconque, nous pouvons endurer de terribles souffrances. Cela tient à ce que la simple conservation d’une manière d’être acquise ne suppose pas d’accroissement nouveau de la force, ce qui est le plaisir même, tandis que la destruction de ce même état implique une diminution de la force ; or la conscience de cette diminution n’est pas autre chose que la douleur. Deux personnes ayant l’habitude de vivre ensemble peuvent ne plus goûter de plaisir dans leurs relations ordinaires, et néanmoins la séparation leur sera très-pénible. Nous pouvons même nous habituer aux défauts d’abord désagréables des gens avec lesquels nous vivons, à tel point que nous serions exposés à être péniblement affectés, si ces défauts venaient subitement à disparaître. On n’éprouve aucune émotion à habiter son pays natal, mais souvent la nostalgie nous prend, quand nous l’avons quitté. Le goût, l’odorat deviennent insensibles à l’action répétée de substances stimulantes, telles que les liqueurs fortes, le tabac ; mais en même temps ces substances donnent naissance à des besoins impérieux, et nous souffrons dès que nous en sommes privés.
L’habitude, étant la permanence d’une manière d’être, exclut la sensibilité, c’est-à-dire le plaisir et la douleur, qui accompagnent au contraire le changement des manières d’être, l’acquisition ou la destruction des habitudes. Nous avons montré ailleurs que le plaisir était, dans une force, la conscience de son augmentation, que la peine était au contraire la conscience de l’amoindrissement. »