Rousseau, Dialogues (Rousseau juge de Jean-Jacques) 2° dialogue, Pléiade p. 816-817 :
« La rêverie, quelque douce qu'elle soit, épuise et fatigue à la longue, elle a besoin de délassement : on le trouve en laissant reposer sa tête et livrant uniquement ses sens à l’impression des objets extérieurs. Le plus indifférent spectacle a sa douceur par le relâche qu'il nous procure, et, pour peu que l’impression ne soit pas tout à fait nulle, le mouvement léger dont elle nous agite suffit pour nous préserver d'un engourdissement léthargique, et nourrir en nous le plaisir d'exister sans donner de l’exercice à nos facultés. Le contemplatif Jean-Jacques, en tout autre temps si peu attentif aux objets qui l'entourent, a souvent grand besoin de ce repos, et le goûte alors avec une sensualité d'enfant dont nos sages ne se doutent guère. Il n'aperçoit rien, sinon quelque mouvement à son oreille ou devant ses yeux ; mais c'en est assez pour lui. Non seulement une parade de foire, une revue, un exercice, une procession l'amusent ; mais la grue, le cabestan, le mouton, le jeu d'une machine quelconque, un bateau qui passe, un moulin qui tourne, un bouvier qui laboure, des joueurs de boules ou de battoir, la rivière qui court, l'oiseau qui vole attachent ses regards. Il s'arrête même à des spectacles sans mouvement, pour peu que la variété y supplée. Des colifichets en étalage, des bouquins ouverts sur les quais, et dont il ne lit que les titres, des images contre les murs, qu'il parcourt d'un œil stupide, tout cela l'arrête et l'amuse quand son imagination fatiguée a besoin de repos. »