Renard, chronique de jeunesse (vers 1890) :
« Observe dans une glace, quand tu sors d'un concert, ton air vanné ; t'es-tu battu à la foire ? est-ce qu'on t'a oublié dans un bain de vapeur ou massé trop durement jusqu'à faire jaillir tes veines comme des vers ? Mais il est bien inutile de te poser des questions : tu ne sais plus ce qui s'est passé ; tu es demeuré trois heures la bouche ouverte et les yeux clos, les oreilles toutes pleines, la raison morte, le dos courbé sous l'effroyable puissance de la musique ; et dehors, comme un esclave affranchi, tu pousses un long soupir de soulagement. C'est vexant il faut l'avouer d'être traité ainsi quand on se croit un honnête homme. On ne proteste qu'en fuyant. Comment sans nous dégrader permettre à un petit air de flûte de nous jeter dans cet état de transpiration ? Dès la première note je dresse la tête avec inquiétude. Sauve qui peut ! Voilà la fascinatrice terrifiante qui passe ! L'âme n'est plus qu'une longue oreille. C'est le moment que je choisis pour m'en aller. Sinon je me trouve pris, roulé dans les vagues sonores et métamorphosé en homme qui se noie sans savoir pourquoi. Sans savoir pourquoi ! Ci-gît la honte ! et cela indigne qu'un frottement de cordes et de crins colophanés, plus qu'un vers de Baudelaire ou de Corbière nous impressionne et nous retourne. »