Céline, Mort à crédit Pléiade p. 621 :
« Les bains de mer, c’était du courage. C’est la crête fumante, redressée, bétonnée de cent mille galets, grondante qui s’écrase et me happe.
Transi, raclé, l’enfant vacille et succombe... Un univers en cailloux me baratine tous les os parmi les flocons, la mousse. C’est la tête qui branle d’abord, qui porte, bascule, pilonne au fond des graviers... Chaque seconde est la dernière... Mon père en maillot zébré, entre deux vallées mugissantes s’époumone. Il m’apparaît... Il éructe... s’épuise, déconne. Un rouleau le culbute aussi, le retourne, le voilà les nougats en l’air... Il gigote comme une grenouille... Il se redresse plus, il est foutu... Il me fonce alors dans la poitrine une terrible rafale de galets...
Je suis criblé... Noyé... Affreux... Je suis écrasé par un déluge... Puis ça me ramène encore, projeté gisant aux pieds de ma mère... Elle veut me saisir, m’arracher... La succion me décroche... M’éloigne... Elle pousse un horrible cri. La plage tout entière afflue... Mais tout effort est déjà vain... Les baigneurs s’agglomèrent, s’agitent... Quand la furie me bute au fond, je remonte râler en surface... Je vise le temps d’un éclair qu’ils discutent sur mon agonie... Ils sont là de toutes les couleurs : des verts... des bleus, des ombrelles, des jaunes... des citron... Je tourbillonne dans mes morceaux... Et puis j’aperçois plus rien... Une bouée m’étrangle... On me hale sur les rochers... tel un cachalot... Le vulnéraire m’emporte la gueule, on me recouvre tout d’arnica... Je brûle sous les enveloppements... Les terribles frictions. Je suis garrotté dans trois peignoirs.
Tout autour alors, on explique... Que la mer est trop forte pour moi ! Très bien ! Ça va ! J’en demandais jamais tant !... On faisait ça pour le sacrifice... Pour le nettoyage vigoureux… »