lundi 26 août 2019

Hasek (le colonel)



Hasek, Le brave Soldat Chveik p. 235-6 : 
« Le Colonel […] se distinguait par une stupidité congénitale et respectable. Lorsqu'il racontait quelque chose, il ne disait que des choses exactes, craignant toujours de ne pas être compris. "Eh bien, une fenêtre, messieurs ! savez-vous ce que c'est qu'une fenêtre ?" Ou bien encore : "Un chemin bordé de deux côtés par des fossés s'appelle chaussée. Eh bien, Messieurs, savez-vous ce que c'est qu'un fossé ? Un fossé est un trou allongé auquel travaillent un certain nombre d'ouvriers. C'est une excavation. Oui. On y travaille avec des pioches. Savez-vous ce que c'est qu'une pioche ?" Il était atteint de la manie de la définition et s'y adonnait avec l'exaltation d'un inventeur qui explique ses œuvres. "Un livre, Messieurs, c'est un assemblage de feuilles de papier qui, coupées de façon différente et ayant des dimensions différentes suivant le cas, sont couvertes de caractères d'imprimerie, réunies ensemble, reliées et collées. Savez-vous ce que c'est que la colle ? C'est une matière gluante." Sa stupidité était si énorme que les autres officiers évitaient de loin sa rencontre, de peur de lui entendre dire que le trottoir se détache de la chaussée, et forme une bande asphaltée le long du bloc des façades de maisons, et que la façade est cette partie de la maison que l'on voit de la rue, tandis que le derrière de la maison est invisible pour celui qui la regarde du trottoir, ce que l'on peut constater en se plaçant sur la chaussée. Il était toujours prêt à démontrer l'exactitude de ses dires. Une fois, il faillit se faire écraser, et depuis lors, sa bêtise n'avait fait que croître. Il accostait les officiers dans la rue et entamait d'interminables discours sur les omelettes, le soleil, les thermomètres, les beignets, les fenêtres et les timbres-poste.»