Sève (B.), L'Altération musicale, V, Emprise 1 :
"Ce n’est pas seulement par convention et contrainte sociales que l’auditeur d’un concert classique ne bouge guère, mais bien par un effet de la musique sur lui. L’effet culturel s’enracine dans un effet naturel aussi difficile à nier qu’à établir avec précision. Le règlement des gestes consiste à les déterminer, à leur imprimer certaines directions et certaines intensités, mais aussi à suspendre directions et intensités. La musique n’agit pas comme un système d’interdits extérieurs mais comme un principe interne de mobilité qui règle les mouvements spontanés et désordonnés, par un fin réglage intérieur. C’est du vivant réglé par du vivant. L’immobilité du spectateur n’est pas paralysie, elle est retenue de mouvements seulement esquissés (léger balancement du corps par exemple). Sauter, se rouler par terre, gesticuler ne sont pas compatibles avec l’écoute des puissants chorals de la Passion selon saint Matthieu de Bach, et pas davantage avec l’écoute des formidables imprécations de Didon dans Les Troyens de Berlioz. La musique qui retient le corps est alors cousine de la gymnastique qui l’exerce […]."