dimanche 27 octobre 2024

Amis (M.) (foule)

 Amis (M.), La Friction du temps § 'Finale de la Ligue des champions 1999' :

"Chaque fois, ça me frappe, avec toute la fraîcheur d’une révélation : assister à un match de foot dans un stade est la pire façon imaginable de voir un match de foot. Même sans compter le voyage jusqu’au terrain (aller et retour), les quarante-huit heures perdues et hors de prix, le fait d’être écrasé et parqué avec toute la civilité qu’on accorde généralement à un agrégat rebelle de voyous et de sociopathes, quand on trouve enfin un siège tout là-haut au sommet de la falaise de gradins, tout en soignant son saignement de nez et son hypothermie, on plonge le regard sur un cirque de puces dans un abîme embrumé ; et quand il se passe quelque chose, tout le monde se lève, si bien qu’on est forcé de se tordre le cou à travers un collage mouvant de frisottis et de boucles d’oreilles. Oui, la télé, sans compter qu’elle est à portée de télécommande et gratuite, c’est bien mieux – sous tous les rapports, sauf un. La foule. La foule est le moteur de cette expérience particulière. Elle est exigeante : on doit lui abandonner son identité. Et il serait vain d’essayer de s’y opposer. C’est un mille-pattes qui vous enrobe de pied en cap, électrisant et combustible. Soulagé, humilié, terrorisé, on se perd dans la chaleur corporelle d’innombrables aisselles enflammées, dans les rugissements stridents et les sifflements endiablés : cris d’un milliard de bébés fondus en un seul hurlement désespéré."