mercredi 28 août 2024

Céard (science)

Céard, Terrains à vendre au bord de la mer, p. 47-48 :


[on trouve vraiment tout dans cet étonnant roman océanique… y compris une sorte de pressentiment des conceptions de Popper !]


"La faculté de connaître demeurant illimitée, s'accroît par le développement des cellules cérébrales augmentant d'activité et se haussant à plus d'intelligence ! Puisque la science est faite de mobilité calculée et de changements logiques, Malbar ne comprenait pas qu'on lui donnât une formule définitive pour la conduite de la vie, un évangile de croyance fixe où s'arrêterait l'esprit. Il lui semblait que les lettres, en regrettant l'idéal, regrettaient surtout le dogme. Et quel dogme pouvait-on raisonnablement réclamer, quelle formule absolue pour la manoeuvre de l'existence pouvait-on espérer quand, pour s'en tenir à la seule chimie, le système de la nomenclature et la théorie de la composition des corps a varié trois fois au moins depuis les premières notations de Lavoisier ! Il estimait que, précisément, le grand mérite de la science résultait du grief si bruyamment élevé contre elle. Il admirait son scrupule à ne fournir que des définitions momentanées et point tyranniques. La science lui apparaissait uniquement comme le résumé de l'observation et de l'expérience d'une époque. il ne se fâchait pas contre elle de n'avoir pas ouvert aux illusions du monde des paradis, que, du reste, elle s'était bien gardée de promettre. Là-dessus, il se séparait nettement de ses amis et de ses maîtres, qui, par rancune de ne pas trouver dans les laboratoires de suffisants articles de foi, retournaient à l'église, et préféraient s'immobiliser dans une dévotion apaisante et bornée, plutôt que de consentir à l'effort de toujours s'enquérir et de toujours penser."