mercredi 20 décembre 2023

Cervantès (livres)

Cervantès, Don Quichotte I, chap. 47 :

"Pour que la fiction puisse plaire, ne doit-elle pas approcher un peu de la vérité, et n'est-ce pas une règle du bon sens que, pour être divertissantes, les aventures ne doivent pas sembler impossibles ? 

Il conviendrait, selon moi, que les ouvrages d'imagination soient composés de manière à ne pas choquer le sens commun, et qu'après avoir tenu l'esprit en suspens, ils en viennent à l'émouvoir, à le ravir, et à lui causer autant de plaisir que d'admiration ; ce qui est toute la perfection d'un livre. Eh bien, quel livre de chevalerie a-t-on jamais vu dont tous les membres forment un corps entier, c'est-à-dire dont le milieu répondît au commencement, et la fin au commencement et au milieu ? Loin de là, les auteurs les composent de tant de membres dépareillés, qu'on dirait qu'ils se sont plutôt proposé de peindre un monstre ou une chimère qu'une figure avec ses proportions naturelles. 

Outre cela, leur style est rude et grossier, les prouesses qu'ils racontent sont incroyables, leurs aventures d'amour blessent la pudeur ; ils sont prolixes dans la description des batailles, ignorants en géographie, et extravagants dans les voyages ; finalement dépourvus de tact, d'art, d'invention, et dignes d'être chassés de tous les Etats, comme gens inutiles et dangereux."  

  

Y, si a esto se me respondiese que los que tales libros componen los escriben como cosas de mentira, y que así, no están obligados a mirar en delicadezas ni verdades, responderles hía yo que tanto la mentira es mejor cuanto más parece verdadera, y tanto más agrada cuanto tiene más de lo dudoso y posible. Hanse de casar las fábulas mentirosas con el entendimiento de los que las leyeren, escribiéndose de suerte que, facilitando los imposibles, allanando las grandezas, suspendiendo los ánimos, admiren, suspendan, alborocen y entretengan, de modo que anden a un mismo paso la admiración y la alegría juntas; y todas estas cosas no podrá hacer el que huyere de la verisimilitud y de la imitación, en quien consiste la perfeción de lo que se escribe. No he visto ningún libro de caballerías que haga un cuerpo de fábula entero con todos sus miembros, de manera que el medio corresponda al principio, y el fin al principio y al medio; sino que los componen con tantos miembros, que más parece que llevan intención a formar una quimera o un monstruo que a hacer una figura proporcionada. Fuera desto, son en el estilo duros; en las hazañas, increíbles; en los amores, lascivos; en las cortesías, mal mirados; largos en las batallas, necios en las razones, disparatados en los viajes, y, finalmente, ajenos de todo discreto artificio, y por esto dignos de ser desterrados de la república cristiana, como a gente inútil."