Aymé, Maison basse, XII, p. 259 :
"Pauline lui tendit les journaux et quitta la chambre. Il parcourut rapidement les titres et ne découvrit rien qui lui parût très alléchant. Il s'intéressait médiocrement aux doctrines et aux luttes des partis. Dans les journaux, il cherchait surtout les comptes rendus des grands rassemblements de foule, des chœurs monstrueux hurlant d'enthousiasme. La vision de quatre vingt mille casques d'acier ventre à cul dans les rues de Breslau, ou de trois hectares de prolétaires écoutant un discours, le jetait dans une sorte d'ivresse et même de béatitude. Il ne se lassait pas d'imaginer un homme, signalement et état civil, ayant sa place dans l'un de ces énormes rendez-vous. C'était toujours le même type, trente-cinq ans, sérieux, attentif et sans ironie ; il ne cherchait pas à connaître ses voisins et ne cessait pas d'oublier sa propre existence, sinon pour se féliciter d'avoir trouvé dans ces limbes le refuge qu'aucune activité ne pouvait lui offrir. Finalement, Jardin se substituait à lui et goûtait la joie délicate de se sentir escamoté, anéanti dans le nombre d'une foule fasciste ou communiste."