Aymé, De la ville à la campagne in "Articles", Pléiade t. 3 p. 1694-5 :
"Les gens de la terre, qui ne manquent pas d'ironie, l’exercent généralement sur des objets moins futiles que ceux auxquels se plaisent les citadins. Ceux-ci, et surtout les parisiens, s’arrêtent volontiers à l'aspect le plus extérieur des choses et des situations, et pour peu qu'une singularité, même négligeable, leur soit occasion de rire ou de faire un bon mot, ils n'ont guère la curiosité de pousser plus avant.
Toutes les variations auxquelles se livraient les gosses montmartrois, sur ce patronyme de Veau ne sont pas, par elles-mêmes, bien méchantes. Elles sont de la même veine que toutes ces chansons idiotes équivoquant sur un mot (Les poils du duc) ou exploitant la soi-disant cocasserie d'un prénom (Ignace, Eléonore, Agathe). Voilà qui nous aide, soit dit en passant, à comprendre le pouvoir du slogan sur le peuple des villes.
Cette légéreté du citadin s'accompagne d'une déviation du goût. Les moralistes ont tendance à l'attribuer au cinéma, aux mauvais livres et aux journaux. Je crois qu'il vaudrait mieux incriminer le manque de solitude et les mille manières de penser en troupeau qu’offre l'existence moderne dans les grandes agglomérations. L'habitude de penser en commun ne permet pas de penser beaucoup à la fois, mais elle permet de se satisfaire de peu : d’un mot, parfois vide de sens, que la foule de se lasse pas de répéter."