Vargas Llosa, Éloge de la Marâtre trad. Bensoussan, Folio p. 170 :
"Le temps s’est suspendu, naturellement. Nous ne vieillirons pas là ni ne mourrons. Nous jouirons éternellement dans cette demi-clarté du crépuscule qui déjà souille la nuit, éclairés par une lune que notre ivresse a triplée. La lune réelle est celle du centre, noire comme un aile de corbeau ; celles qui l’escortent, couleur de vin trouble, fiction.
Abolis ont été aussi les sentiments altruistes, la métaphysique et l’histoire, le raisonnement neutre, les impulsions et œuvres de bien, la solidarité envers l’espèce, l’idéalisme civique, la sympathie pour le congénère ; tous les humains ont été effacés à l’exception de toi et moi. Tout a disparu, tout ce qui aurait pu nous distraire ou nous appauvrir à l’heure de l’égoïsme suprême qui est celle de l’amour. Ici, rien ne nous freine ni ne nous inhibe, comme le monstre et le dieu.
Cette chambre en triade – trois pattes, trois lunes, trois espaces, trois fenêtres et trois couleurs dominantes – est la patrie de l’instinct pur et de l’imagination qui le sert, tout comme ta langue serpentine et ta douce salive m’ont servi et se sont servies de moi. Nous avons perdu nom et prénom, visage et poil, notre respectable apparence et nos droits civiques. Mais nous avons gagné magie, mystère et jouissance corporelle. Nous étions une femme et un homme et maintenant nous sommes éjaculation, orgasme et une idée fixe. Nous sommes devenus sacrés et obsédants."