Céline, 'Casse-pipe' raconté par Céline à R. Poulet en 1957 :
"C’était l'histoire d'un échelon régimentaire, commandé par un adjudant, en 1914. Une centaine d'hommes, avec un charroi, des bagages, un materiel hétéroclite, qui errent sur les routes, suivant vaille que vaille les mouvements de l’unité dont ils dépendent. Le détachement perd bientôt ses liaisons. Est mêlé à l’énorme désordre d’une armée qui se tourne et se retourne pour faire face aux surprises de la bataille. Désorientés, épuisés, privés d’ordres, de ravitaillements et de renseignements, ces soldats toujours en marche deviennent immoraux ; boivent, jouent, mauraudent : finissent par fracturer la caisse qui leur est confiée. L'adjudant, qui n'a pas eu la force de résister à cette dépravation collective, et même qui s’y est abandonné comme les autres, se réveille à la fin. Il s’aperçoit trop tard du mauvais cas où il s’est mis, responsable qu’il est de tous ces crimes contre la discipline et contre les lois militaires. Perdu d’honneur, l'adjudant ! Bon pour tous les affronts et tous les châtiments, si jamais il doit rendre compte de leur équipée à quelque autorité supérieure. Affolé, désespéré. il conduit son monde vers le point le plus scabreux du front de combat ; et il fonce tête baissée, hommes, chevaux, fourgons, dans la mêlée, qui les écrase… "