Debray (Régis), Éclats de rire [2021] :
" 'La pérennité chinoise n’habite pas les pierres mais les gens', note excellemment Simon Leys. N’en va-t-il pas à l’inverse chez nous ? La pérennité française habite de moins en moins les cerveaux et les cœurs mais de plus en plus les pierres, les Archives nationales, les châteaux, les musées et les lavoirs, tous dûment poncés, relookés et sauvegardés. Notre vocabulaire rétrécit plus vite encore que nos glaciers, sans parler de la syntaxe, mais l’obsession patrimoniale gagne du terrain. Sacralisation des traces, désacralisation des héritages. Comme si la présence physique du passé avait pour fonction essentielle, d’ailleurs utile, de compenser son absence morale. Ce qui n’est plus actif se donne à visiter. Le bâti rénové vient exonérer – et, de plus, cela rapporte – le délabrement des mémoires sous-cutanées, l’amputation des horaires d’histoire à l’école, et l’adoption du basic English en lingua franca. Il faut remercier la Direction du Patrimoine, de donner toute sa splendeur monumentale à un aussi considérable épuisement spirituel."