Balzac (Guez de), Le Socrate chrétien (1652) :
"Il devait périr, cet homme fatal [= Attila], il devait périr, dès le premier jour de sa conduite, par une telle ou une telle entreprise ; mais Dieu se voulait servir de lui pour punir le genre humain et tourmenter le monde : la justice de Dieu se voulait venger et avait choisi cet homme pour être le ministre de ses vengeances. La raison concluait qu'il tombât d'abord [= dès l'abord] par les maximes qu'il a tenues ; mais il est demeuré longtemps debout par une raison plus haute qui l'a soutenu. Il a été affermi dans son pouvoir par une force étrangère et qui n'était pas de lui […]. Cet homme a duré pour travailler au dessein de la Providence. Il pensait exercer ses passions : il exécutait les arrêts du ciel […]. Il est très vrai qu'il y a toujours quelque chose de divin, disons davantage, qu'il n'y a rien que de divin dans les maladies qui travaillent les Etats. Ces dispositions, cette humeur, cette fièvre chaude de rébellion, cette léthargie de servitude, viennent de plus haut qu'on ne s'imagine. Dieu est le poète, et les hommes ne sont que les acteurs. Ces grandes pièces qui se jouent sur la terre ont été composées dans le ciel, et c'est souvent un faquin qui doit en être l'Atrée ou l'Agamemnon. Quand la Providence a quelque dessein, il ne lui importe guère de quels instruments et de quels moyens elle se serve. Entre ses mains tout est foudre, tout est tempête, tout est déluge, tout est Alexandre, tout est César […]. Dieu dit lui-même de ces gens-là qu'il les envoie en sa colère, et qu'ils sont les verges de sa fureur. Mais ne prenez pas ici l'un pour l'autre : les verges ne piquent ni ne frappent toutes seules […]. Cette main invisible, ce bras qui ne paraît pas, donne les coups que le monde sent ; il y a bien je ne sais quelle hardiesse qui menace de la part de l'homme ; mais la force qui accable est toute de Dieu."