Giono, Le poète de la famille, in L'Eau vive, Pléiade p. 429 :
"Il ne savait ni lire, ni écrire. Il était fort en pioche, en pic, en pelle, en barre à mine, en levier, en truelle. Très fort. Il était un fil à plomb vivant. Il était l'équilibre, il ne se servait pas de ciment, il était le ciment. Il n'avait pas la science des choses de construction, il était les choses de construction. Il ne connaissait rien aux papiers. S'il y avait un papier, un plan, un compte, un dessin, une épure, il disait : "Moi, je m'en torche", et il le faisait. Mais, partant alors dans la construction prévue, sans préconçu, il se mettait à la vivre. Tout ce qu'il faisait était du trapèze volant. Inspiré, il fourrageait dans sa barbe et sa chevelure rousse à pleins doigts barbouillés de mortier, et tout se mettait à obéir. Air, eau, pierre, et feu. À obéir d'une telle obéissance qu'on ne pouvait pas imaginer de désobéissance quelconque. Les plans écrits en devenaient risibles. Tout était vaincu, ordonné et créé sur-le-champ. Il ne faisait aucun effort. Il n'y avait aucune réflexion présidant à l'œuvre. Il était comme l'outil d'un dieu : tout se créait parce que tout devait se créer."