Aymé, Le Chemin des écoliers chap. 1 :
"Il est certains délits d’inconscience aussi révélateurs d’un égoïsme tranquille que peut l’être la pire duplicité. Autre sujet de tristesse pour Pierrette, les hommes retournés à leurs préoccupations et toute leur gaieté oubliée, ne semblaient plus prendre garde qu’ils déjeunaient de chocolat, et une bonne fortune aussi rare était déjà pour eux la chose la plus naturelle du monde. On ne pouvait non plus exiger d’eux une jubilation bruyante après chaque cuillerée de chocolat, Pierrette le comprenait bien et se serait contentée d’un émerveillement discret, mais cette indifférence au milieu de la félicité, comme si c’était chose due, cette totale absence d’égards à la joie qu’elle avait de leur faire plaisir lui semblaient friser la muflerie. Elle prenait une conscience un peu humiliée du rôle de la femme dans le cercle de la famille, et commençait à trouver un sens à certaine parole prononcée par sa mère un jour de lassitude : « On dirait que les hommes traversent la vie en chemin de fer ; nos soucis et nos peines, ils les regardent comme par la portière»."