mardi 21 mars 2023

Gramsci + Gracq (latin)

Gramsci, Cahiers de prison (1932) : 

"Dans la vieille école, l’étude grammaticale de la langue latine et de la langue grecque, unie à l’étude de leur littérature et de leur histoire politique respectives, était un principe éducatif dans la mesure où l’idéal humaniste, qui s’incarne dans Athènes et dans Rome, était répandu dans toute la société, était un élément essentiel de la vie et de la culture nationales […] Les notions particulières n’étaient pas apprises dans un but pratico-professionnel immédiat : le but apparaissait désintéressé, parce que l’intérêt résidait dans le développement intérieur de la personnalité […]. On n’apprenait pas le latin et le grec pour les parler, ou pour devenir domestique ou correspondant commercial. On les apprenait pour connaître directement la civilisation des deux peuples, qui constitue le présupposé nécessaire de la civilisation moderne, on les apprenait autrement dit pour être soi-même et se connaître soi-même consciemment."


Gracq, entretien dans Le Monde, janvier 2000 : 

"Outre leur langue maternelle, les collégiens apprenaient jadis une seule langue, le latin ; moins une langue morte que le stimulus artistique incomparable d’une langue entièrement filtrée par une littérature. Ils apprennent aujourd’hui l’anglais, et ils l’apprennent comme un esperanto qui a réussi, c’est-à-dire comme le chemin le plus court et le plus commode de la communication triviale : comme un ouvre-boîte, un passe-partout universel. Grand écart qui ne peut pas être sans conséquence : il fait penser à la porte inventée autrefois par Duchamp, qui n’ouvrait une pièce qu’en fermant l’autre."