mercredi 8 février 2023

Rilke + Keats + Gide (perméabilité)

Rilke à Lou Andreas Salomé 26 juin 1914, Correspondance, Seuil, trad. Jaccottet, p. 347 : 

"Je suis incurablement tourné vers le dehors, donc distrait de tout, ne refusant rien, mes sens passent, sans me consulter, au parti de tout intrus ; un bruit se produit-il, je me renonce et je suis ce bruit, et comme toute chose excitable veut être excitée, je ne désire au fond qu'être dérangé, et je le suis perpétuellement."

 

Keats, lettre à Woodhouse, 27 octobre 1818 : 

"When I am in a room with People if I ever am free from speculating on creations of my own brain, then not myself goes home to myself : but the identity of every one in the room begins so to press upon me that I am in a very little time annihilated."

trad. Davreu : 

"Lorsque je me trouve dans une pièce en compagnie d’autres Gens, si jamais me désertent les méditations sur les créations de mon propre cerveau, ce n’est pas alors moi-même qui rentre en moi-même : mais l’identité de chacun des présents se met à peser tellement sur moi qu’en très peu de temps je suis annihilé."


Keats, lettre à Benjamin Bailey, November 22, 1817

"if a Sparrow come before my Window I take part in its existince (sic) and pick about the Gravel."

trad. Davreu :

"si un oiseau vient à ma fenêtre, je prends part à son existence et picore les gravillons."


Gide, Les Nourritures terrestres, VI :

"Disponible ! Nathanaël, disponible ! — et par une attention subite, simultanée de tous les sens, arriver à faire (c’est difficile à dire) du sentiment même de sa vie, la sensation concentrée de tout l’attouchement du dehors… (ou réciproquement). — J’y suis ; là ; j’occupe ce trou, où s’enfoncent :

dans mon oreille : 

ce bruit continu de l’eau ; grossi, puis apaisé de ce vent dans ces pins ; intermittent des sauterelles ; etc.

dans mes yeux : 

l’éclat de ce soleil dans le ruisseau ; le mouvement de ces pins… (tiens ! un écureuil)… de mon pied qui fait un trou dans cette mousse ; etc.

dans mes narines : 

… (chut ! l’écureuil s’approche.) etc.

Et tout cela ensemble, etc., en un petit paquet ; — c’est la vie ; — est-ce tout ? — Non ! il y a toujours d’autres choses encore.

Crois-tu donc que je ne suis qu’un rendez-vous de sensations ? — Ma vie c’est toujours : cela, plus moi-même.