Claudel, L'Échange (1893-1894) :
Lechy Ebernon
Je suis actrice, vous savez. Je joue sur le théâtre. Le théâtre. Vous ne savez pas ce que c'est ?
Marthe
Non.
L.E.
Il y a la scène et la salle. Tout étant clos, les gens viennent là le soir, et ils sont assis par rangées les uns derrière les autres, regardant.
M.
Quoi ? Qu'est-ce qu'ils regardent, puisque tout est fermé ?
L.E.
Ils regardent le rideau de la scène. Et ce qu'il y a derrière quand il est levé. Et il arrive quelque chose sur la scène comme si c'était vrai.
M.
Mais puisque ce n'est pas vrai ! C'est comme les rêves que l'on fait quand on dort.
L.E.
C'est ainsi qu'ils viennent au théâtre la nuit.
[...]
Je les regarde, et la salle n'est rien que de la chair vivante et habillée.
Et ils garnissent les murs comme des mouches, jusqu'au plafond.
Et je vois ces centaines de visages blancs.
L'homme s'ennuie, et l'ignorance lui est attachée depuis sa naissance.
Et ne sachant de rien comment cela commence ou finit, c'est pour cela qu'il va au théâtre.
Et il se regarde lui-même, les mains posées sur les genoux.
Et il pleure et il rit, et il n'a point envie de s'en aller.