jeudi 12 janvier 2023

Romains (forme)

Romains, Les Hommes de bonne volonté, éd. Bouquins t. 2 p. 526 (vol. "Les pouvoirs") :

 [le personnage vient d'écrire un sonnet d'amour]

"Le travail de son sonnet lui laissait un bien-être qui ne ressemblait à rien, et où la satisfaction d'être à peu près venu à bout, sans entraînement, d'un exercice difficile, n'était pas ce qui comptait le plus. Il se disait avec tout son sérieux d'homme mûr : "La poésie n'est pas une petite chose. C'est une grande chose, au contraire ; forte ; profonde." Il avait l'impression que toutes sortes de sentiments louches qui s'agitaient en lui avaient changé de dignité, presque de nature, depuis qu'il avait réussi à les exprimer si peu que ce fût dans la forme d'un poème. Il se sentait "meilleur", non pas au sens banal où l'entendent les gens, et qui suppose comme un envahissement de l'âme par la bonté, et sinon la disparition, du moins l'effacement de l'inavouable ; meilleur par transfiguration de l'inavouable. Il découvrait qu'il y a une aristocratie, très fermée, qui est conférée par des états de conscience, par un traitement qu'ils ont subi. Tant qu'on n'y a pas pénétré, on ne s'en doute pas."