Gœthe, Architecture allemande [1772], GF p. 84 :
"Ils veulent nous faire croire que les beaux-arts sont nés de la tendance, qui supposément nous animerait, à embellir les objets de notre environnement. Il n'en est rien ! Car le sens dans lequel cela pourrait être vrai découle de la manière dont le bourgeois et l'artisan emploient les mots, mais non pas les philosophes.
L'art est déjà créateur longtemps avant qu'il ne devienne beau, et pourtant cet art-là est vrai et grand, souvent même plus vrai et plus grand que le bel art lui-même. Car la nature créatrice de l'homme se montre agissante dès que son existence matérielle est assurée. Dès qu'il est sans objet d'inquiétude ni de peur, le demi-dieu, agissant sereinement, cherche des matières à l'alentour afin de leur insuffler son esprit. C'est ainsi que le sauvage en vient à façonner ses noix de coco, ses plumes et son corps de traits extravagants, de figures horribles, de couleurs criardes. Et même si cette imagerie se composait des formes les plus arbitraires, elle serait néanmoins harmonieuse, fût-elle dépourvue de proportions, car elle a été créée comme totalité caractéristique par l'unité d'une sensibilité."