Musil, Monuments, in Œuvres pré-posthumes, traduction Jaccottet :
"Tout ce qui se prolonge perd le pouvoir de frapper. Tout ce qui forme l’entourage de notre vie, le décor de notre conscience en quelque sorte, perd la capacité d’impressionner cette conscience. Un bruit désagréable, s’il se prolonge quelques heures, nous finissons par ne plus l’entendre. Les tableaux que nous accrochons à nos murs se voient absorbés par ceux-ci en l’espace de quelques jours ; il est extrêmement rare qu’on les prenne dans les mains pour les scruter. Les livres à demi lus qu’on installe dans les magnifiques rayons d’une bibliothèque ne seront jamais achevés. Il suffit même aux personnes sensibles que le début d’un livre a émues, de l’acheter, pour qu’elles n’y touchent plus jamais ensuite. Dans un tel cas, le processus prend une forme presque agressive ; mais on peut en constater l’implacable déroulement jusque dans les sentiments plus élevés, où il a toujours cette forme, ainsi dans la vie de famille."