Amiel, Journal, 2 décembre 1851 :
"Fais en toi la part du mystère, ne te laboure pas toujours tout entier du soc de l'examen, mais laisse en ton cœur un petit angle en jachères pour les semences qu'apportent les vents, et réserve un petit coin d'ombrage pour les oiseaux du ciel qui passent ; aie en ton âme une place pour l'hôte que tu n'attends pas, et un autel pour le dieu inconnu. Et si un oiseau chante dans ta feuillée, ne t'approche pas vite pour l'apprivoiser. Et si tu sens quelque chose de nouveau, pensée ou sentiment, s'éveiller dans le fond de ton être, n'y porte point vite la lumière ni le regard ; protège par l'oubli le germe naissant, entoure-le de paix, n'abrège pas sa nuit, permets-lui de se former et de croître, et n'ébruite pas ton bonheur. Œuvre sacrée de la nature, toute conception doit être enveloppée du triple voile de la pudeur, du silence et de l'ombre."