Queneau, Loin de Rueil, 1944, p. 146-147 :
"Jacques abandonne. Il se dépouille.
Il fait oripeaux neufs.
Il vogue vers la sainteté.
Les quelques sous qu'il a il en donne la moitié, au moins, aux pauvres. Il tricote des bas de laine pour des misérables. Il secourt les commissionnaires trop chargés, les chiens collés, les enfants battus, les voleurs poursuivis, les clochards, les pouilleux, les gâteux, les aveugles même. Si on lui marche sur un pied il propose l'autre. Si on l'insulte il ne répond pas. Mieux même il cherche le mépris des suffisants, des gonflés, des ceuss qu'ont la conscience obèse. Il s'applique à se faire estamper par les commerçants (des durs ceux-là). Il aime avoir l'air con. II se plaît aux gaffes, aux bêtises, aux balourdises. Il se montre niais, il s'efforce de l'être s'il n'a besoin de le devenir. Aux yeux des sergents de ville, des garçons de café, des employés d'octroi, des receveurs d'autobus, des poinçonneurs du métro, des contrôleurs de chemin de fer, des placeuses de cinéma il fait figure d'idiot. Il ne craint pas les charges, les quolibets, les affronts qui le trouvent toujours serein. Mais lui il n'a de dédain pour personne. Il accueille tout le monde avec bienveillance. Il s'empresse d'indiquer le bon chemin aux provinciaux, il donne du feu aux plus hideux des bourgeois, il indique l'heure aux plus pressés des passants, il répond avec politesse aux prostituées, il suit les enterrements, il caresse la barbe des birbes. Il est plat et bénin.
Complément :
Queneau, Les Enfants du limon : « Il était tout humble maintenant comme il avait toujours été. Il se reconnaissait dans sa petitesse et s’amusait que son intimité se soit gonflée de quelques onces de néant. Il trébuchait devant le gouffre de la divinité, plus vaste que Sa rigueur. Confondu il entassait les négations de sa connaissance et bégayait devant Dieu comme un simple et comme un enfant. »