Halbwachs (Maurice), La Mémoire collective, [posthume, 1950] :
"Si, entre les maisons, les rues, et les groupes de leurs habitants, il n'y avait qu'une relation tout accidentelle et de courte durée, les hommes pourraient détruire leurs maisons, leur quartier, leur ville, en reconstruire, sur le même emplacement, une autre, suivant un plan différent ; mais si les pierres se laissent transporter, il n'est pas aussi facile de modifier les rapports qui se sont établis entre les pierres et les hommes. Lorsqu'un groupe humain vit longtemps en un emplacement adapté à ses habitudes, non seulement ses mouvements, mais ses pensées aussi se règlent sur la succession des images matérielles qui lui représentent les objets extérieurs. Supprimez, maintenant, supprimez partiellement ou modifiez dans leur direction, leur orientation, leur forme, leur aspect, ces maisons, ces rues, ces passages, ou changez seulement la place qu'ils occupent l'un par rapport à l'autre. Les pierres et les matériaux ne vous résisteront pas. Mais les groupes résisteront, et, en eux, c'est à la résistance même sinon des pierres, du moins de leurs arrangements anciens que vous vous heurterez. Sans doute, cette disposition antérieure a été autrefois l'œuvre d'un groupe. Ce qu'un groupe a fait, un autre peut le défaire. Mais le dessein des hommes anciens a pris corps dans un arrangement matériel, c'est-à-dire dans une chose, et la force de la tradition locale lui vient de la chose dont elle était l'image. Tant il est vrai que, par toute une partie d'eux-mêmes, les groupes imitent la passivité de la matière inerte."
Un texte par jour, ou presque, proposé par Michel PHILIPPON (littérature, philosophie, arts, etc.).