Balzac, La Duchesse de Langeais p. 47 :
"La musique, même celle du théâtre, n'est-elle pas, pour les âmes tendres et poétiques, pour les coeurs souffrants et blessés, un texte qu'ils développent au gré de leurs souvenirs ? S'il faut un coeur de poète pour faire un musicien, ne faut-il pas de la poésie et de l'amour pour écouter, pour comprendre les grandes oeuvres musicales ?"
Maupassant, Mont-Oriol I, V, 119 :
"Aimez-vous la musique, Madame ?
- Beaucoup.
- Moi, elle me ravage. Quand j'écoute une oeuvre que j'aime, il me semble d'abord que les premiers sons détachent ma peau de ma chair, la fondent, la dissolvent, la font disparaître et me laissent, comme un écorché vif, sous toutes les attaques des instruments. Et c'est en effet sur mes nerfs que joue l'orchestre, sur mes nerfs à nu, frémissants, qui tressaillent à chaque note. Je l'entends, la musique, non pas seulement avec mes oreilles, mais avec toute la sensibilité de mon corps, vibrant des pieds à la tête. Rien ne me procure un pareil plaisir, ou plutôt un pareil bonheur."
Elle souriait et dit :
"Vous sentez vivement.
- Parbleu ! A quoi servirait de vivre si on ne sentait pas vivement ? Je n'envie pas les gens qui ont sur le coeur une carapace de tortue ou un cuir d'hippopotame. Ceux-là seuls sont heureux qui souffrent par leurs sensations, qui les reçoivent comme des chocs et les savourent comme des friandises. Car il faut raisonner toutes nos émotions, heureuses ou tristes, s'en rassasier, s'en griser jusqu'au bonheur le plus aigu ou jusqu'à la détresse la plus douloureuse."
Rilke, lettre à Magda von Hattinberg 13 fév. 1914 dans la soirée, Correspondance, Seuil p. 288-289 :
"Mais quand la musique parle, ce n'est pas à nous qu'elle parle. L'œuvre d'art accomplie n'est reliée à nous qu'en ceci qu'elle nous surpasse. Le poème pénètre du dedans, d'un côté toujours détourné de nous, dans le langage, il le remplit merveilleusement, jusqu'au bord - , mais, dès lors, ne se soucie plus jamais de nous atteindre. Les couleurs se déposent dans le tableau, mais s'y trouvent entretissées comme la pluie et le paysage ; et le sculpteur ne fait que montrer à sa pierre la plus admirable façon de se fermer. La musique, elle, est sans doute une réalité plus proche, elle coule vers nous qui sommes sur sa route, et nous traverse. Elle est presque une forme plus haute de l'air dont nous remplirions les poumons de l'esprit, elle enrichit notre sang intérieur. Mais que ne lance-t-elle pas au-delà de nous ! Que ne fait-elle pas passer à côté de nous ! que ne porte-t-elle pas à travers nous, que nous ne pouvons saisir ! Que nous ne pouvons saisir, hélas, que nous perdons. "