mardi 20 octobre 2020

Léautaud (cadre de vie)

 Léautaud, Journal, mars 1898, t. 1 p. 26 : 

« Il me faut bien dire que je ne ressens rien du goût, du besoin, peut-être, qui portent certains écrivains à s'entourer d'un décor : tableaux, gravures, mobilier, bibelots, etc... Ces gens me font un peu l'effet de marchands dans des bazars. Par exemple, la photographie de la collection ‘Nos contemporains’ chez eux, où on voit Loti dans toute sa turquerie. Il paraît qu'un jour Goncourt demanda à Renan : ‘Pourriez-vous-vous me dire de quelle couleur est le papier de votre chambre à coucher ?’ et que Renan lui avoua n'avoir jamais songé à s'en rendre compte. Je ne suis pas loin de m'en tenir à ce désintéressement. N'est-ce pas un certain vide de soi-même, un certain manque de vie intérieure, qui fait qu'on se plaît au milieu d'un décor, que même on en a besoin ? Pour moi, jusqu'ici, les choses extérieures, de cette sorte, existent à peine. Je craindrais même que des tableaux arrêtent mon regard, ma réflexion. Mes murs nus sont au contraire comme s'ils n'existaient pas. »