Giono, Le Serpent d'étoiles, 1 :
« On fit un repas d’herbe et de nuit. On avait posé au rebord de l’aire un grand plat plein de cette saladelle des collines, bien pâle, choisie à l’ombre et qui grouillait, luisante d’huile, comme un nid d’araignées vertes. On allait là-dedans avec les doigts, chacun à son tour ; on était tous en rond, avec le plat au milieu ; une large assise de pain étalée à pleine main gauche servait d’assiette et de serviette, et quand ce pain avait bien pompé des gouttes d’huile, bien essuyé le doigt, on le mangeait, et il avait le goût d’une après-midi de moisson.
La nuit, on la mâchait avec la salade ; la nuit, elle déborda du cratère en lents bouillons, et c’était plein de nuit dans les bouches quand on entama les quignons frottés d’ail. On avait donc ces herbes à manger, puis la nuit et c’était une nuit du maquis – puis les étranges regards jaunes de la sorcière de quatorze ans. Tout cela donnait la pâture au ventre et à la cervelle ; je ne sais pas si la cervelle avait bien son compte séparé ; je crois plutôt que tout : salade, huile, pain noir, nuit et regards de gentiane, tout descendait dans le ventre, tout y faisait de la chaleur et du poids, tout s’y changeait en sucs et en effluves, si bien qu’on était, à la fin, ivre de la triple force du ciel, de la terre et de la vérité. »