vendredi 18 septembre 2020

Zola + Aymé (nu)

 ZolaEcrits sur l'art : "Quelques bonnes toiles" GF p. 167 :

« Peut-être avez-vous de l'ambition, peut-être voulez-vous peindre le nu. Essayez alors d'être classiquement indécent, de peindre une femme qui, tout en n'étant pas une femme. se vautre sur le dos d'une telle façon, en se pâmant, en roulant les yeux, qu'elle éveille des pensées égrillardes chez les bourgeois. Vous m'entendez bien. La nature est sale, et la saleté déplaît ; ne commettez pas la faute de copier un modèle, cela dégoûterait. Soyez simplement voluptueux, dessinez une belle telle que les imbéciles la rêvent, avec toutes les rondeurs et toutes les grâces d'une poupée de coiffeur, et donnez à cette belle une ombre de chair, une peau rose comme le maillot des danseuses. Si vous évitez l'indécence âpre de la nature et si vous vous jetez en plein dans la polissonnerie du rêve, le public est capable de parler tout haut d'idéal en pensant tout bas à des choses qui ne sont rien moins qu'idéales. Là est l'habileté suprême, chatouiller les sens et faire crier à l'idéalisme. »


Aymé, Le Boeuf clandestin III Pléiade t. 2 p. 809-810 : 


«Tout en remuant son café, il regardait un tableau suspendu au mur dans un grand cadre doré. C'était une femme nue de Bouguereau, ayant servi d'étude pour une vaste composition traitant la mort de ce pauvre Orphée déchiré par les bacchantes. Il trouvait toujours un plaisir très vif dans la contemplation de cette peinture. Plaisir esthétique d'abord. C'était joli, cette bacchante au corps souple, qui brandissait une baguette, et émouvant aussi quand on pensait à la menace contenue dans ce geste gracieux. Mais ce qui aiguisait encore le plaisir, c'était de réfléchir à l'art et à l'initiation artistique qui confère à un honnête homme l'étrange privilège de pouvoir regarder en présence de sa famille l'image d'une femme nue sans être soupçonné d'une arrière-pensée obscène ou simplement égrillarde. Pourtant, lorsqu'il parvenait à abstraire ses pensées en reléguant sa sensibilité artistique, il lui fallait bien s'avouer que cette nudité était quelque chose d'assez inconvenant et, en somme, d'un peu malpropre. Alors, il éprouvait un vif sentiment de fierté à se dire qu'il était capable de n'en apercevoir que la beauté. »