Giono, L'Iris de Suse Folio p. 163-164 :
« - Je vois que mes petits bibelots vous intéressent, dit l’homme. – Il haussa la lampe. – Ceci est un renard, dit-il, un vrai, plus vrai que s’il courait la gueuse, ne vous y trompez pas ! Je n’empaille pas, jamais. Les animaux empaillés (et les gens) sont ridicules et ils se mitent comme de vulgaires bas de laine. Là au contraire, regardez ! c’est plus qu’un renard : il est réduit à sa plus simple expression : son squelette, son essence, le contraire de son accident : la chair (chair ou paille, ou crin ou coton) est toujours l’accident, le squelette est le fond de l’être. Comme dit l’autre : « La fin et l’essence des êtres resteront impénétrables. » Je l’espère bien. Comment voulez-vous qu’on fasse son compte avec des êtres pénétrés ? Regardez-le, celui-là : impénétrable. J’ai nettoyé ses os un à un, du plus gros au plus petit ; je les ai fait tremper dans cent mille vinaigres ; je les ai brossés, poncés, polis et je les ai remontés un à un du fond de l’enfer. Impénétrable désormais et imputrescible, un point c’est tout. Et c’est parfait.
« Je n’ai ici que de petits sujets, mais voici : un rat. Qu’est-ce qu’un rat ?… Eh bien ! regardez au bout de mon allumette ce petit os minuscule en forme d’on ne sait pas quoi : une crosse d’évêque, semble-t-il. C’est par cet os qu’il entendait l’âme d’un rat comme on dit : l’âme d’un violon ; un monde de sons : une Scala tout entière dans une oreille de rat.
« Un hérisson, un blaireau, une marmotte. Très curieux : l’os Bertrand, comme on dit ; l’os Bertrand singe miraculeusement les os du crâne en goutte d’huile, comme les os nobles façonnés par l’aspiration de la curiosité et de la peur. Si bien que la marmotte, malgré sa peur incoercible, est incapable de décamper ; son derrière lui-même l’entraîne, l’aspire !
« Ici une fouine, une martre, un furet et d’autres, des petits carnassiers construits avec précision comme des pièces d’horlogerie. Le sang, qu’on boit à la veine jugulaire des autres, a besoin d’une précision mathématique. Là nous sommes loin de l’essence ; nous serions même en plein accident sans l’ossature : le Deus ex machina en personne. »