vendredi 1 mai 2020

Zola (sclérose)


Zola, La Joie de vivre chap. XI :
"Il était devenu un objet d’effroyable pitié. Peu à peu, la goutte chronique avait accumulé la craie à toutes ses jointures, des tophus énormes s’étaient formés, perçant la peau de végétations blanchâtres. Les pieds, qu’on ne voyait pas, enfouis dans des chaussons, se rétractaient sur eux-mêmes, pareils à des pattes d’oiseau infirme. Mais les mains étalaient l’horreur de leur difformité, gonflées à chaque phalange de nœuds rouges et luisants, les doigts déjetés par les grosseurs qui les écartaient, toutes les deux comme retournées de bas en haut, la gauche surtout qu’une concrétion de la force d’un petit œuf rendait hideuse. Au coude, du même côté, un dépôt plus volumineux avait déterminé un ulcère. Et c’était à présent l’ankylose complète, ni les pieds ni les mains ne pouvaient servir, les quelques jointures qui jouaient encore à demi, craquaient comme si on avait secoué un sac de billes. À la longue, son corps lui-même semblait s’être pétrifié dans la position qu’il avait adoptée pour mieux endurer le mal, penché en avant, avec une forte déviation à droite ; si bien qu’il avait pris la forme du fauteuil, et qu’il restait ainsi plié et tordu, lorsqu’on le couchait."