jeudi 30 avril 2020

Gracq (vieillissement)


Gracq, Lettrines 2 [1974], Pléiade p. 335 : 
« La surimpression envahissante de ce qui a été sur ce qui est constitue le don mélancolique et pulpeux du vieillissement, qui est, autant qu’une décrépitude physiologique, un décryptement fantomatique du palimpseste que devient avec l’âge le monde familier. Chateaubriand l’a senti venir et s’y est complu plus vite qu’un autre : à partir de quarante ans toutes ses descriptions sont des repeints transparents au dessin premier. Rimbaud l’a rejeté de toutes ses forces dès qu’il a senti son approche (« Départ dans l’affection et le bruit neuf ») toute sa poétique est une rature radicale du sédiment, éidétique ou affectif. Tel quartier — telle maison où j’ai vécu jeune — s’est figé pour moi à une époque que je pourrais dater, et rejette pour moi seul, quand j’y passe le tégument léger dont les années l’ont recouvert, avec le menu geste d’intimité et de mystère d’une femme qui soulève sa voilette. La mer seule balaie en nous cette stratification figée : à son spectacle les années se désaccumulent ; c’est moins sa fraîcheur régénératrice que son refus de cautionner le souvenir qui fait la justesse du vers de Valéry : 'Courons à l’onde en rejaillir vivant'. »