Simenon, Pietr le Letton (1930-1931) chapitre 2, L’ami des milliardaires, t. 16 p. 370-371 :
« La présence de Maigret au Majestic avait fatalement quelque chose d'hostile. Il formait en quelque sorte un bloc que l'atmosphère se refusait à assimiler.
Non pas qu'il ressemblât aux policiers que la caricature a popularisés. Il ne portait ni moustaches, ni souliers à fortes semelles. Ses vêtements étaient de laine assez fine, de bonne coupe. Enfin, il se rasait chaque matin et ses mains étaient soignées.
Mais la charpente était plébéienne. Il était énorme et osseux. Des muscles durs se dessinaient sous le veston, déformaient vite ses pantalons les plus neufs.
Il avait surtout une façon bien à lui de se camper quelque part qui n'était pas sans avoir déplu à maints de ses collègues eux-mêmes.
C'était plus que de l'assurance, et pourtant ce n'était pas de l'orgueil. Il arrivait, d'un seul bloc, et dès lors il semblait que tout dût se briser contre ce bloc soit qu'il avançât, soit qu'il restât planté sur ses jambes un peu écartées.
La pipe était rivée dans la mâchoire. Il ne la retirait pas parce qu'il était au Majestic. Peut-être, au fond, était-ce un parti pris de vulgarité, de confiance en soi ?
Avec son grand pardessus noir à col de velours, il était impossible de ne pas le repérer tout de suite dans le hall illuminé où les élégantes s'agitaient parmi les traînées de parfum, les rires pointus, les chuchotements, les salutations de style d’un personnel tiré à quatre épingles.
Il ne s'en souciait pas. Il restait en-dehors du mouvement. Les bruits de jazz, qui lui parvenaient du dancing du sous-sol, se heurtaient à lui comme à une barrière imperméable. »