Soljénitsyne, Le Pavillon des cancéreux (traduction Aucouturier, Nivat, Sémon) chap. XXXV :
« N’attendant rien d’intéressant de sa visite aux singes, Kostoglotov passait rapidement et était même sur le point de prendre un raccourci lorsque, sur une cage éloignée, il aperçut un avis que quelques personnes étaient en train de lire.
Il les rejoignit : la cage était vide ; à l’emplacement habituel, un écriteau indiquait : « Macaque rhésus » et un avis écrit à la hâte et fixé à la plaque disait : « Le singe qui vivait là est devenu aveugle par suite de la cruauté insensée d’un visiteur. Un méchant homme a jeté du tabac dans les yeux du macaque rhésus. »
Et ce fut le choc ! Jusque-là, Oleg avait déambulé avec le sourire condescendant de celui qui en a vu d’autres ; mais là, on avait envie de se mettre à glapir, à hurler, à ameuter tout le parc, comme si on avait soi-même du tabac plein les yeux.
Pourquoi ?... Pourquoi simplement comme ça ?... Pourquoi sans raison ?...
Plus que toute autre chose, c’était cette simplicité enfantine de la rédaction qui serrait le cœur. De cet inconnu, qui était parti impunément, on ne disait pas qu’il était anti-humanitaire, on ne disait pas que c’était un agent de l’impérialisme américain. On disait seulement qu’il était méchant. Et c’est cela qui était frappant ! Pourquoi donc était-il tout simplement méchant ? Enfant ! Ne devenez pas méchants en grandissant ! Ne faites pas de mal à ceux qui ne peuvent pas se défendre. »