lundi 23 mars 2020

Calvino (gorille)


Calvino, Palomar, chap. ‘Le gorille albinos’ : 
« L’animal est encore jeune et c’est seulement le contraste entre ce visage rose et le court poil blanc pur qui l’encadre, et puis surtout les rides autour des yeux, qui lui confèrent l’apparence d’un vieillard. Pour le reste, Copito de Nieve présente moins de ressemblances avec l’homme que d’autres primates : à la place du nez, les naseaux se creusent en double gouffre ; les mains, poilues et - dirait-on - peu articulées, à l’extrémité de bras très raides et longs, sont, à y bien regarder, encore des pattes, et le gorille s’en sert en tant que telles pour marcher, en les posant comme un quadrupède sur le sol.
Maintenant ces bras-pattes serrent contre sa poitrine un pneu d’auto. Dans le vide énorme de ses heures, Copito de Nieve n’abandonne jamais son pneu. Qu’est-ce pour lui que cet objet ? Un jouet ? Un fétiche ? Un talisman ? Palomar a l’impression de comprendre parfaitement le gorille, son besoin de tenir bien serré quelque chose tandis que tout lui échappe, une chose en laquelle apaiser l’angoisse de l’isolement, de la différence, de la condamnation d’être toujours considéré comme un phénomène vivant, par ses femelles et par ses enfants comme par les visiteurs du zoo. »