mardi 28 janvier 2020

Pirandello (sujet-objet)


Pirandello, Quand j'étais fou (Nouvelles, Quarto, 196-197) : 
« Revenons au temps où j'étais fou. [...] il me semblait que l'air entre moi et les choses d'alentour devenait peu à peu plus intime et que mon regard allait au-delà de la perception naturelle. Attentive et fascinée par cette intimité sacrée avec les choses, mon âme descendait à la limite des sens et percevait le plus léger mouvement, la plus légère rumeur. Un grand silence stupéfait régnait en moi au point que, tout proche, un battement d'ailes me faisait sursauter et qu'un trille lointain me donnait presque un sanglot de joie : je me sentais heureux pour les petits oiseaux qui à cette saison ne souffrent pas du froid et trouvent de quoi manger en abondance dans la campagne ; heureux comme si je les avais réchauffés de mon haleine et nourris de ma propre main. 
Je pénétrais aussi dans la vie des plantes et du caillou, du brin d'herbe, je m'élevais petit à petit, accueillant et sentant en moi la vie de toute chose, au point que j'avais l'impression de devenir presque le monde entier : les arbres auraient été mes membres, les fleuves mes veines, la mer aurait été mon corps et l'air mon âme. Et pendant un moment, j'allais ainsi extatique et tout pénétré de cette divine vision. 
Celle-ci s'étant dissipée, je restais haletant comme si, dans ma maigre poitrine, j'avais vraiment recueilli toute la vie de l'univers. »