mardi 7 janvier 2020

Döblin (restaurant)


Döblin, Berlin Alexanderplatz trad. nouv. Folio p. 412-413 : 
« Salle n° 60 conseil des prud'hommes, cafétéria ; une pièce assez petite avec un comptoir, un distributeur de café ; sur l'ardoise il est écrit «Menu du jour : velouté de riz, paupiettes de bœuf, un mark». Un homme jeune, gros, lunettes d'écaille, est assis sur une chaise et dévore le menu du jour. On le regarde et l'on constate : il a une assiette fumante avec des paupiettes, de la sauce et des pommes de terre devant lui et il s'affaire à tout engloutir méthodiquement. Ses yeux vont et viennent par-dessus son assiette, pourtant on ne lui dérobe rien, nul n'est assis à proximité, il est tout seul à sa table, mais néanmoins préoccupé, découpe, écrase sa pâtée puis l'enfourne dans sa bouche, vite, une bouchée, une autre, une encore, et tandis qu'il besogne ainsi, dedans, dehors, dedans, dehors, tandis qu'il tranche, broie et briffe, déguste, goûte et déglutit, ses yeux observent, ses yeux inspectent le reste toujours plus modeste sur son assiette, le surveillent de droite et de gauche comme deux chiens méchants et apprécient sa superficie. Encore une, dedans, dehors. Point, maintenant terminé, maintenant il se lève, gras et flagada, il n'a pas laissé la plus petite miette, maintenant il peut aussi payer. Il glisse la main dans sa poche poitrine et fait claquer sa langue : « Ça f'ra combien, mademoiselle ? » Puis le gros gaillard sort, souffle, desserre sa ceinture d'un cran pour que le ventre puisse respirer. Le voilà avec trois bonnes livres dans l'estomac, rien que des denrées alimentaires. Maintenant c'est parti dans son ventre, maintenant le ventre a de quoi s'occuper, vu ce que le gars vient de s'envoyer. Les intestins branlent et secouent, ça se tord et se tortille comme asticots, les glandes font ce qu'elles peuvent, elles giclent leur jus là-dedans, giclent comme lances de pompiers, d'en haut un jet de salive accompagne le tout, le gars déglutit, ça glisse dans les intestins, au niveau des reins c'est la ruée, comme aux grandes galeries pendant la semaine du blanc, et tout doux, tout doux, voyez-moi ça, des petites gouttent tombent déjà dans la vessie, gouttelette après gouttelette. Attends, mon garçon, attends, sur tous les sommets ce n'est bientôt* tu retourneras toi aussi vers la porte où il est écrit : Messieurs. C'est la marche du monde**. »

* la phrase est bizarre ; il n’y a pas de « sommets » dans l’original ; le traducteur a dû vouloir indiquer plus nettement l’allusion aux deux derniers vers du poème de Goethe :

** titre d'un poème de Uhland

« Zimmer Nr. 60 Arbeitsgericht, Erfrischungsraum; eine ziemlich kleine Stube mit Ausschank, Expreßkaffeekocher; an der Tafel steht 'Mittagstisch: legierte Reissuppe, Rindsrouladen (lauter r) 1 Mark'. Ein junger, dicker Herr mit einer Hornbrille sitzt auf einem Stuhl und verzehrt den Mittagstisch. Man sieht ihn an und stellt fest: er hat einen dampfenden Teller mit Roulade, Soße und Kartoffel vor sich zu stehen und ist dabei, alles hintereinander zu verschlingen. Seine Augen wandern hin und her über den Teller, dabei nimmt ihm keiner was weg, sitzt keiner in der Nähe, er sitzt ganz allein an seinem Tisch, aber doch in Sorge, zerschneidet, drückt an seinem Futter und schiebt es sich in den Mund, rasch, eins, eins, eins, eins, und während er arbeitet, eins rin, eins raus, eins rin, eins raus, während er schneidet, quetscht und schlingt, schnüffelt, schmeckt und schluckt, betrachten seine Augen, beobachten seine Augen den immer kleineren Rest auf dem Teller, bewachen ihn rundherum wie zwei bissige Hunde und taxieren seinen Umfang. Noch eins rin, eins raus. Punkt, jetzt ist fertig, jetzt steht er auf, schlapp und dick, der Kerl hat alles glatt aufgefressen, jetzt kann er auch zahlen. Er faßt in die Brusttasche und schmatzt: 'Fräulein, was machts?' Dann geht der dicke Kerl raus, schnauft, macht sich hinten den Hosenbund locker, damit der Bauch gut Platz hat. Dem liegen gut drei Pfund im Magen, lauter Eßwaren. Jetzt gehts damit los in seinem Bauch, die Arbeit, jetzt hat der Bauch damit zu schaffen, was der Kerl reingeschmissen hat. Die Därme wackeln und schaukeln, das windet sich und schlingt wie Regenwürmer, die Drüsen tun, was sie tun können, sie spritzen ihren Saft in das Zeug hinein, spritzen wie die Feuerwehr, von oben fließt Speichel nach, der Kerl schluckt, es fließt in die Därme ein, auf die Nieren erfolgt der Ansturm, wie im Warenhaus bei der Weißen Woche, und sachte, sachte, sieh mal an, fallen schon Tröpfchen in die Harnblase, Tröpfchen nach Tröpfchen. Warte, mein Junge, warte, balde gehst du denselben Gang hier zurück an die Tür, wo dransteht: Für Herren. Das ist der Lauf der Welt. »