Starobinski, L'invention de la liberté p. 112-113 :
« Pour l'amateur du XVIIIe siècle, ces dessins qui nous paraissent des œuvres accomplies avaient le charme de l'inachevé. Le dessin, pour eux, n'est jamais qu'une esquisse, c'est-à-dire une proposition en vue d'un accomplissement ultérieur. Le plaisir, c'était d'achever mentalement, dans une complicité imaginative, l’œuvre que le dessinateur, renonçant à composer, laissait apparemment incomplète. Pour l'amateur, l'instant capturé par le dessin indique la virtualité d'une œuvre en suspens. Et cette façon de mêler l'acuité de la notation à l'attente d'une perfection ajournée va séduire les artistes au point de les inciter à renoncer à l'indispensable achèvement. [...] Nous devons à ce "libertinage" une merveilleuse succession d'instantanés, où, sans nuire à la véracité anecdotique, une liberté quasi féerique vient alléger le monde à l'instant où il se transforme en image. Nous rencontrons déjà ce qui séduira tant Baudelaire dans les dessins de Constantin Guys : l'exaltation de la beauté de ce qui passe, un lyrisme de l'éphémère. »