Hémon, Monsieur Ripois et la Némésis chap. 1, Grasset p. 10-11 :
« De son cigare, il ne restait déjà plus qu’un tronçon qui lui brûlait les doigts, mais la bonne chaleur du vin et du café fort courait encore dans ses artères. Il se sentait satisfait, repu sans lourdeur, alerte et hardi. Songeant aux mets succulents qu’il avait mangés, au bordeaux généreux qu’il avait lampé à plein verre, il marchait en se dandinant un peu, ployant quelquefois les jarrets, comme pour s’assurer de leur souplesse, et caressait sa moustache légère d’un geste un peu fat. Quand il laissait courir ses regards sur les gens qui l’entouraient et passaient à côté de lui, il lui venait cette idée un peu méprisante que c’étaient des barbares ; qu’il était séparé d’eux par des différences essentielles: l’allégresse de son sang plus chaud, la richesse des aliments préparés avec art, à la française, dont il s’était nourri et qui semblaient déjà s’être fondus en lui, et une certaine prodigalité d’idées et de sensations, fuyantes, rapides, diverses, qui défilaient dans son cerveau en sautillant. »