vendredi 13 décembre 2024

Conrad (portrait)

Conrad, Au Cœur des ténèbres, I, trad. Mayoux : 

"Ma première entrevue avec le Directeur fut curieuse. Il ne me pria pas de m’asseoir, après ma marche de vingt milles dans la matinée. Tout en lui était commun, le teint, les traits, les manières, la voix. Il était de taille moyenne, avec un corps quelconque. Ses yeux, d’un bleu banal, étaient peut-être particulièrement froids, et véritablement il pouvait vous assener un regard tranchant et pesant comme une hache. Mais même à ce moment le reste de sa personne semblait se dissocier de son intention. Autrement, il n’y avait qu’une vague, indéfinissable expression sur ses lèvres, quelque chose de sournois – sourire, pas sourire – je me la rappelle, mais je ne saurais l’expliquer. […] C’était un trafiquant vulgaire, employé depuis sa jeunesse dans ces parages – rien de plus. Il était obéi, pourtant il n’inspirait ni affection ni crainte, ni même respect. Ce qu’il faisait, c’était mettre mal à l’aise. Voilà ! Mal à l’aise."



My first interview with the manager was curious. He did not ask me to sit down after my twenty-mile walk that morning. He was commonplace in complexion, in features, in manners, and in voice. He was of middle size and of ordinary build. His eyes, of the usual blue, were perhaps remarkably cold, and he certainly could make his glance fall on one as trenchant and heavy as an axe. But even at these times the rest of his person seemed to disclaim the intention. Otherwise there was only an indefinable, faint expression of his lips, something stealthy – a smile – not a smile – I remember it, but I can’t explain. […] He was a common trader, from his youth up employed in these parts – nothing more. He was obeyed, yet he inspired neither love nor fear, nor even respect. He inspired uneasiness. That was it ! Uneasiness.