lundi 1 janvier 2024

Biély (particulier et général)

BiélyPetersbourg [1916-1922], trad. Nivat-Catteau, chap. 1 :

"Nous avons déjà parcouru cette immense demeure, en nous laissant guider par l’emblème commun que le sénateur avait l’habitude d’attribuer à toute chose.

C’est ainsi que jadis, en des temps anciens, plongé dans le giron fleuri de la nature, Apollon Apollonovitch avait entrevu… le giron fleuri de la nature. Pour nous, ce giron s’ordonnait immédiatement en emblèmes distincts : violettes, pensées, œillets ; le sénateur, lui, ramenait les particularités à l’unité. Nous, bien sûr, nous dirions :

— Voici une pensée !

— Voici un myosotis !

Mais Apollon Apollonovitch disait simplement et d’un mot :

— Une fleur !…

Entre nous soit dit, Dieu sait pourquoi, Apollon Apollonovitch prenait toutes les fleurs, sans distinction, pour des campanules…

Avec la même concision lapidaire, il aurait défini jusqu’à sa propre maison, qui pour lui ne se composait que de murs (formant carrés et cubes), de fenêtres percées, de parquets, de tables ; le reste n’était que détail…

Mais que cela ne nous fasse pas oublier que tout ce qui défilait devant ses yeux, tableaux, piano, miroirs, nacre, marqueterie des guéridons, tout n’était qu’excitation de la membrane cérébrale, à moins que ce ne fût déficience du cervelet."