Ionesco, Journal en miettes (1967) p. 38 :
"J'en aurais pu faire des choses, il y aurait pu avoir tant de réalisations si ma fatigue, une inconcevable, énorme fatigue ne m'avait accablé depuis environ quinze ans, ou même depuis bien plus longtemps. Une fatigue qui m'a empêché de travailler, mais aussi de me reposer, mais aussi de jouir de la vie et de me réjouir et aussi de me détendre et qui m'a empêché aussi de me tourner davantage, comme je l'aurais voulu, vers les autres, au lieu d'être prisonnier de moi-même, c'est-à-dire de cette fatigue, de ce poids, de cette charge qui est la charge de moi-même : comment vous tourner vers les autres quand votre moi vous accable. Aucun médecin sur trente ou quarante que j'ai consultés, aucun médecin n'a su ou n'a pu me guérir de cette lassitude infinie parce que, vraisemblablement, aucun d'eux n'est allé jusqu'à la source, jusqu'à la cause profonde de ce mal."