Boulgakov, Le Maître et Marguerite, trad. Markovicz, 1, IV :
"Le troisième de cette compagnie s’avérait être un chat, sorti d’on ne sait où, gros comme un cochon, noir comme de la suie ou comme un freux et doté d’invraisemblables moustaches de hussard. Le trio se dirigeait vers la ruelle des Patriarches – et le chat avançait sur ses pattes de derrière.
[...] Ivan, qui avait perdu l’un de ses fugitifs, concentra son attention sur le chat et vit ce chat étrange s’approcher du marchepied de la motrice « A » qui attendait à son arrêt, repousser avec aplomb une femme qui se mit à hurler, s’agripper à la main courante et même tenter de refiler à la contrôleuse une pièce de dix kopecks par la fenêtre, laquelle était ouverte parce qu’il faisait très lourd.
La conduite du chat frappa tellement Ivan qu’il resta cloué devant l’épicerie du coin de la rue et, là, il fut une deuxième fois, mais bien plus encore, frappé par l’attitude de la contrôleuse. Celle-ci, à peine avait-elle vu le chat grimper dans le tramway, prise d’une colère qui la faisait même trembler, s’écria :
— C’est interdit aux chats ! Pas de chats dans les wagons ! Zou ! Descends ou j’appelle la milice !
Ni la contrôleuse ni les passagers n’avaient été frappés par le fond de l’affaire : non pas qu’un chat grimpe dans un tramway, ce qu’on aurait pu encore admettre, mais qu’il s’apprête à payer !
Le chat se révéla être un animal non seulement solvable mais discipliné. Au premier cri de la contrôleuse, il cessa de monter, redescendit du marchepied et se figea à l’arrêt, se frottant les moustaches avec sa pièce de dix. Mais à peine la contrôleuse eut-elle tiré sur le cordon et le tramway fut-il reparti que le chat fit ce que fait toute personne qui se voit refuser l’accès à un tramway qu’elle a quand même besoin de prendre. Laissant passer devant lui les trois wagons, le chat bondit sur la plateforme arrière du dernier en agrippant de la patte l’espèce de boyau qui pendait de la paroi, et fouette cocher, ce qui lui fit économiser sa pièce de dix kopecks."