Montaigne, Essais I, 24 :
“Les saillies poétiques, qui emportent leur auteur et le ravissent hors de soi, pourquoi ne les attribuerons-nous à son bonheur ? puisqu'il confesse lui-même qu'elles surpassent sa suffisance et ses forces, et les reconnaît venir d'ailleurs que de soi, et ne les avoir aucunement en sa puissance : non plus que les orateurs ne disent avoir en la leur ces mouvements et agitations extraordinaires, qui les poussent au delà de leur dessein. Il en est de même en la peinture, qu'il échappe parfois des traits de la main du peintre, surpassant sa conception et sa science, qui le tirent lui-même en admiration, et qui l'étonnent. Mais la fortune montre bien encore plus évidemment la part qu'elle a en tous ces ouvrages, par les grâces et beautés qui s'y trouvent, non seulement sans l'intention, mais sans la connaissance de l'ouvrier. Un suffisant lecteur découvre souvent ès écrits d'autrui des perfections autres que celles que l'auteur y a mises et aperçues, et y prête des sens et des visages plus riches.“