Amiel, Journal intime, 8 août 1865 p. 1066 :
"Cette immense ouate de vapeur assourdit tous les bruits, et plonge dans un silence qui paraît le silence de la surdité. Me voilà donc dans l'état d'âme d'un sourd, qui voit clair et médite. Quelle solitude, et comme elle est favorable au travail ! On est tout entier à sa pensée, à son sujet. Le cœur en gémit, le cerveau s'en félicite. C'est à l'imagination à compenser le monde absent, à évoquer la nature si la pensée en a besoin. Il faut créer, quand on est dans le vide, que des vitres mornes, du papier blanc, et une plume sont tout le spectacle offert aux regards, et que l'oreille n'entend et n'entendra jamais plus rien. La création intérieure, la pensée ou la poésie, est alors une défensive indispensable contre la mort intellectuelle."