Mallarmé, réponse à une enquête sur le chapeau haut de forme, Le Figaro 19 janvier 1897 [Pléiade Mondor p. 881-882] :
"Monsieur,
Vous m’effrayez de toucher à un sujet tel.
Ainsi vous avez remarqué – il ne vous a pas fui – que le contemporain portât, sur le chef, quelque chose de sombre et surnaturel. Ce mystère, vous prenez la belle audace de l’épuiser, peut-être, dans la colonne d'un quotidien : moi, il fournit, presque seul, voici des temps, ma méditation, et je n’estime à moins que plusieurs tomes d’un ouvrage compact, nombreux, abstrus, la science pour le résoudre et passer outre. On pourrait, croyez, omettre ici toute philosophie, inquiétante, de l'engin ou de la parure ou de quoi que ce soit que présente le ténébreux météore et de restreindre à un propos de chapellerie, comme l'indique excellemment le questionnaire ; par exemple, suggérez-vous, si ce complément moderne, dit haut de forme, hantera l'aurore du XX° siècle. Quoi – il commence seulement, dans sa diffusion furieuse, à faucher les diadèmes, les plumes et jusqu'aux chevelures : il continuera !
Monsieur (j’ajoute bas), du fait que c’est, à une date humaine, sur les têtes, cela y sera toujours. Qui a mis rien de pareil ne peut l’ôter. Le monde finirait, pas le chapeau : probablement même il exista de tous temps, à l’état invisible. Aujourd'hui, chacun ne passe-t-il pas à côté sans l'apercevoir ?
Néanmoins, je dois dire que je le considère, chez autrui, avec qui il me semble faire un – et, me salue-t-on, je ne le sépare, en esprit, de l’individu ; je l’y vois, encore, pendant cette politesse. Immuablement.
Apparu, l’objet convient à l’homme, évident autant qu’inexpliqué, ni laid ni beau, échappant aux jugements : Signe, qui sait ? solennel d’une supériorité et, pour ce motif, institution stable."